pascale criton
A l’image d’un monde mobile, fait de vitesses, de distances, Artefact fait écho à un entrelacs de dynamismes divergents, coexistants : site sans bords, sans localité stable dans lequel fulgurent des élans, évoluent des objets variables, affleurants, disparaissants, des matières multiples et changeantes.
L’horizon se déplace. L’écoute oscille de la présence d’un temps immédiat dilaté, quasi tactile à une projection contractée de dynamismes plus abstraits.
Artefact ou le monde machiné, dans lequel l’énergie est fabrication, dérive qui s’origine à la fois dans l’artifice et dans la réalité physique, temporelle. Surface multiple, élastique sur laquelle se régulent des tensions, superpositions, retours, dans un climat d’inflexion proche de la voix, du bruissement diffus du dehors.
L’ensemble instrumental s’organise en trios autour de trois guitares légèrement amplifiées, accordées en 1/12e de ton. L’accord, obtenu par scordatura ne nécessite aucun frettage particulier. Chaque guitare occupe une région spécifique qui se complète du grave à l’aigu, réalisant un continuum en 1/12e de ton. Cet accord de 72 sons par octave, traité la plupart du temps en modes de jeux évolutifs, permet de produire d’infimes variations de temps, de hauteurs et de timbres, une élasticité propre à cet espace suspendu que j’ai tenté de rendre audible.
Ici, la ritournelle - ligne constituée par les harmoniques-, et le galop - jeu instrumental pulsé et soutenu-, sont emportés dans des transformations continues au seuil de la perception.
Cette pièce à été écrite en hommage au philosophe Gilles Deleuze (lors de sa disparition en novembre 1995), qui développe dans Mille Plateaux l'idée de "ritournelles" et de leur "déterritorialisation".
Les trois instruments solistes se tiennent dans un registre grave et se croisent sur une zone d'influence réciproque dans laquelle l'harmonie, les dynamiques et les timbres deviennent indiscernables et tendent vers de pures vitesses et de pures matières.
Cette indiscernabilité est provoquée par les croisements de tessitures, de timbres et de tempéraments.
Leurs différences expressives sont marquées par des modes de jeu et surtout par la sensibilité très particulière de la guitare accordée en 1/16e de ton. Cet accord, que l’on entend pour la première fois à la guitare, renouvelle les relations instrumentales : modification du temps de résonance, passage imperceptible du son bruité au son voisé, masquage des timbres.
L'univers microtempéré me permet d’entraîner la perception par delà ses habitudes, de pénétrer dans les variations infimes du temps et du mouvement, d'exprimer des sensations de mutation.